De l’usage de la comparaison chez Fabe
Fabe
J’ai découvert le rap jeune en écoutant Fabe. Plus précisément, j’ai découvert la musique avec Fabe, c’est parce que j’ai écouté Fabe que j’écoute du rap aujourd’hui. Les premières années, je n’écoutais pas «du rap», j’écoutais Fabe. Heureusement pour moi il a fait 4 albums ce qui m’a évité de trop tourner en rond sur les mêmes chansons. Mais donc l’écoute de Fabe a conditionné mes goûts musicaux, et l’écoute du rap en général a beaucoup influencé je pense ma vision du monde et mon positionnement politique.
J’avais donc envie de revenir sur les textes de rap dans quelques articles, pour mettre en lumière les couplets qui m’ont particulièment marqué ou qui ont un truc en plus. Il est probable que j’élargisse à d’autres artistes également. Il est possible aussi que le deuxième article ne voit jamais le jour et que ça reste une série de 1.
La comparaison dans le rap
La comparaison et la métaphore sont très probablement parmi les figures de style les plus utilisées dans le rap. C’est souvent vers elle qu’on se tourne quand on veut faire dans la phrase choc facile. Un exemple parmi tant d’autres:
Laissant une trace comme un violeur dans un cerveau d'enfant
Ici la comparaison est utilisée pour choquer et laisser justement une empreinte dans notre esprit, afin qu’on se souvienne de l’artiste. Et ça marche, puisque c’est la première qui m’est venue en tête. Fort heureusement la comparaison, comme la métaphore, est aussi utilisée pour des choses plus fines comme on va le voir par la suite.
La comparaison chez Fabe
Puisqu’on parle de l’utilisation de la comparaison chez Fabe, on peut commencer par le commencement, puisque voici la première phrase de la première chanson du premier album de Fabe (transition parfaite, cet album sort précisément en 1995):
Je prends le micro, comme toi tu prends le métro
J’ai le ticket qu’il faut et je le composte en le passant dans ton ste-po
Ici en une phrase d’introduction Fabe met les choses au clair, c’est aussi banal et habituel pour lui de prendre le micro que pour nous le métro, et il file habilement la métaphore en compostant son «ticket» dans notre poste. On peut aussi voir dans cette comparaison l’idée que le micro fait voyager. Comme toujours, difficile de savoir si l’auteur a voulu mettre tout ce sens dans ces deux vers ou s’il trouvait juste rigolo la proximité sonore entre micro et métro. Mais j’avais était assez convaincu par une réponse de LinksTheSun sur cette question, qui disait que ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas intentionnel ou conscient de la part de l’auteur que ce n’est pas présent dans le texte. Je garderais donc cette conception dans mes analyses, j’analyse le texte et pas l’auteur, et c’est donc ce que le texte m’évoque qui importera, plus que ce que l’auteur a voulu y mettre.
Mais la comparaison dont je voulais parler ici, si elle concerne également le métro, est sur un autre album: «Détournement de son», sorti en 1998:
Y'en a qui attendent leur chance comme on attend le dernier métro
Mais sans ticket, avec les leurleurs dans leur dos
Alors y'en a qui préfèrent fermer les yeux et puis sauter sur la voie
Et puis tant pis si on y passe ma foi…
Notez que selon les sources le texte du deuxième vers varie, genius.com a «leurres l’heure», j’ai vu «leurs l’heure» sur d’autres sites, pour moi c’est clair qu’il s’agit simplement d’argot pour désigner les controleurs, j’ai donc noté «leurleurs».
Dans cette strophe, on a donc d’abord une comparaison somme toutes banales, certains attendent leur chance comme on attend le dernier métro, avec inquiétude, puis Fabe file la métaphore pour préciser sans ticket, avec les controleurs aux fesses, donc dans une situation complètement désespérée, ce qui peut pousser au suicide, et c’est là où ça devient hyper intéressant, puisque que le métro qui n’était en début de strophe qu’une image devient ici réel pour écraser celui qui attendait sa chance. Ce qui fait qu’on ne sait plus si ce suicide est au sens propre ou au figuré, est-ce qu’on est dans l’image du début et les personnes ont laissé filer leur chance ? Ou est-ce qu’on est dans le monde réel et les personnes ont réellement sauté sur les voix par désespoir ? Le texte ne tranche pas et nous laisse dans cette incertitude. C’est assez proche d’un brisement du 4ème mur au cinéma ou au théatre, où l’on ne saurait plus si c’est l’acteur ou le personnage qui nous parle.
Et comme Internet fais bien les choses, je découvre que Mozinor a sorti un remix de l’instrumentale de «Quoi qu’t’en dises», ce qui propulse instantanément mon gemlog à la pointe de l’actualité youtubesque (à un an près):